Paris – « Si les opposants camerounais pouvaient s’exprimer librement chez eux, ils n’auraient pas besoin de manifester en Europe. » D’une plume aussi acérée que ses mots, Calixthe Beyala, autrice de C’est le soleil qui m’a brûlée, livre une critique cinglante du pouvoir en place au Cameroun. Dans un entretien percutant, elle dénonce les accusations fallacieuses – « trouble à l’ordre public » – brandies pour museler toute contestation.
La diaspora, dernier rempart de la libre expression ?
Pour Beyala, les rassemblements organisés en France par des figures de l’opposition africaine ne sont ni un hasard ni une spécificité camerounaise. « Depuis des années, la diaspora s’organise au-delà des frontières pour porter des combats communs », rappelle-t-elle, évoquant les mobilisations transnationales en faveur de Laurent Gbagbo lors de son procès à la CPI, ou contre l’intervention militaire en Libye.
Un engagement souvent minimisé, voire méprisé. « On les traite de ‘sans-papiers’, alors que ce sont eux qui envoient l’argent qui fait survivre des villages entiers », s’indigne-t-elle. Un rappel nécessaire : selon la Banque mondiale, les transferts d’argent des diasporas africaines représentent une manne vitale pour de nombreux pays – une réalité que Beyala place au cœur du débat.
Maurice Kamto, bouc émissaire d’un système ?
L’écrivaine s’attaque aussi aux accusations visant Maurice Kamto, leader de l’opposition, accusé par certains de « brader la souveraineté camerounaise ». « Kamto n’a pas vendu les chemins de fer à Bolloré, ni le fer à la Chine », rétorque-t-elle, ironique. Pour elle, ces attaques masquent mal les choix économiques contestables des gouvernements successifs – dépendance aux multinationales, accords opaques sur les ressources naturelles – bien plus déterminants pour l’avenir du pays.
« Donnez aux jeunes une raison de rester »
Au-delà de la polémique, Beyala lance un appel plus large : celui de la justice et de la dignité pour une jeunesse camerounaise souvent condamnée à l’exil. « La vraie question, c’est : pourquoi tant de jeunes risquent-ils leur vie en Méditerranée ? » interroge-t-elle, en référence aux drames récurrents des migrations clandestines.
Son plaidoyer rejoint celui d’une diaspora de plus en plus influente, mais encore marginalisée dans les débats politiques. Dans un Cameroun où l’espace démocratique se rétrécit comme peau de chagrin, les mots de Beyala résonnent comme un avertissement : étouffer la contestation à l’intérieur ne fait que déplacer la bataille… et durcir les critiques à l’extérieur.
Une voix qui compte
Romancière engagée, Calixthe Beyala n’en est pas à son premier coup d’éclat. Son discours s’inscrit dans une tradition littéraire africaine où l’écriture se mêle souvent à la lutte politique. Reste à savoir si les dirigeants camerounais l’entendront – ou préféreront, une fois de plus, faire la sourde oreille.